Montebourg à raison...les + de 65 ans...ont des décénies de "magouilles"...alors...tous dehors...!
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Sale temps pour les barons socialistes. Après l'Hérault et les Bouches-du-Rhône, c'est au tour du Pas-de-Calais d'être ébranlé par les scandales touchant un PS local tout-puissant face à la faiblesse du pouvoir central de Solférino. A chaque fois, bien que l'attitude choisie pour régler le dossier par Martine Aubry et la direction du parti diffère selon les cas, les ingrédients sont les mêmes.
On y trouve un grand élu au cœur d'un système: après Georges Frêche et Jean-Noël Guérini, voici Jean-Pierre Kucheida, le député et maire de Liévin depuis trente ans! Une fédération totalement verrouillée avec un grand nombre de cartes d'adhérents. Des excès difficilement compatibles avec les fondamentaux socialistes: après les dérapages verbaux de Frêche et les détournements de fonds présumés de Robert Navarro dans l'Hérault, une enquête judiciaire pour association de malfaiteurs pour Guérini et son frère dans les Bouches-du-Rhône, il s'agit cette fois d'un possible financement occulte dans le Pas-de-Calais. Et enfin, après un silence onze ans durant de François Hollande, une passe d'armes entre la première secrétaire Martine Aubry et son secrétaire à la rénovation Arnaud Montebourg.

Ce système de corruption et de fausses factures opérerait via deux sociétés, l'une privée (la Soginorpa) appartenant à un établissement public (l'Epinorpa), l'autre d'économie mixte (Adevia). Toutes deux sont liées aux travaux publics, l'une gérant un parc de logement du bassin houiller, l'autre achetant des terrains et organisant des chantiers publics.
Toutes deux sont contrôlées par le député et maire de Liévin Jean-Pierre Kucheida. Il est l'un des deux hommes forts du «PS62», avec le président de la région Daniel Percheron. Ensemble, ils «tiennent» la fédération quasiment depuis le congrès d'Epinay (Percheron a été premier fédéral de 1973 à 1997), et ont contribué à son influence décisive dans tous les congrès socialistes.
En fin de journée ce jeudi, Martine Aubry s'est décidée à réagir. Elle a annoncé le gel de la circonscription réservée au député sortant Kucheida pour 2012, ainsi que la création d'une commission d'enquête similaire à celle qui s'est réunie tardivement pour traiter du cas Guérini (lire tous nos articles).
Refusant jusqu'ici de se mêler de trop près des affaires du Pas-de-Calais voisin, la Nordiste a fait une entaille à sa règle maintes fois martelée selon laquelle il ne faut pas interférer dans une affaire de justice et respecter la présomption d'innocence. «Même si elle est perplexe, l'accumulation d'informations l'a décidée mercredi soir, explique son attaché de presse. Elle a ensuite consulté ce jeudi aussi bien Hollande, Delanoë et Hamon que Fabius.»
Soutenue au congrès de Reims de 2008 par les barons départementaux, Martine Aubry doit une partie de son élection au Pas-de-Calais. Si elle prend position sur l'Hérault ou les Bouches-du-Rhône, qui avaient choisi Ségolène Royal, elle reste alors muette sur les pratiques contestables et contestées à l'ombre des beffrois. «Pour nous, ce sur quoi on peut agir, ce sont les dysfonctionnements internes, justifie un conseiller d'Aubry. Il y en avait dans l'Hérault, on l'a mis sous tutelle. Vis-à-vis de la justice, c'est compliqué. Dans les Bouches-du-Rhône, on a rééquilibré le secrétariat fédéral, mais malgré nos demandes, après sa mise en examen, Guérini est resté président du conseil général et on passe pour des cons. Dans le Pas-de-Calais, on a fait ce qu'on a pu, mais on pouvait peu.»

Une seule fois auparavant, Martine Aubry s'était mêlée des affaires de cet Etat dans l'Etat socialiste: en 2009, quand il s'était agi de soutenir au premier tour de la municipale partielle, à la suite de l'incarcération de Dalongeville, la liste d'un jeune socialiste jugé dissident à Hénin-Beaumont, Pierre Ferrari. Percheron et Kucheida soutenaient un radical, finalement élu. «Après mon échec, elle était coincée, dit Pierre Ferrari, aujourd'hui interdit de section à Hénin-Beaumont. Elle ne pouvait pas soutenir un électron libre défait, elle était obligée de fermer les yeux.» Longtemps, la cité de 25.000 habitants au cœur du bassin minier a été l'arbre monstrueux qui cachait la forêt d'un socialisme municipal dégénéré (lire notre enquête en juin 2009).
Longtemps, ce fut le seul endroit où, pour cause de péril frontiste, le PS national s'est un peu immiscé dans les affaires locales de la baronnie socialiste du Pas-de-Calais. En vain. Razzy Hammadi a été sollicité puis Marie-Noëlle Lienemann fut parachutée, mais tous deux sont repartis très vite (l'un au bout de trois jours, l'autre après un an de première adjointe, désenchantée), effrayés par la réalité locale et les rumeurs diverses qui entouraient le PS chtimi, évoquant aussi bien des détournements de fonds que des partouzes d'édiles dans des HLM, ou des maisons en Floride.
Tergiversations socialistes
Passé une fois par Hénin-Beaumont durant la campagne présidentielle de 2007, Arnaud Montebourg en garde le souvenir d'un «champ de mines, comme s'il y avait un scorpion sous chaque pierre». Le secrétaire à la rénovation s'est une nouvelle fois emparé du rôle de lanceur d'alerte. Il y a quinze jours, le député a envoyé une lettre au vitriol à Martine Aubry (dévoilée par lemonde.fr).
Il l'avertit que «cette fois», il ne rédigera «pas de rapport», et ne s'exprimera «pas dans la presse, puisque mes propositions et avertissements sont systématiquement rejetés». Et de lâcher, amer: «Je me contenterai donc de te placer avec simplicité et liberté devant tes responsabilités», avant de demander à Aubry «d'agir en personne cette fois dûment avertie des risques encourus», «contrairement à ta gestion calamiteuse du dossier des Bouches-du-Rhône dans lequel tu as préféré ne rien voir et ne pas agir dans une affaire grave et honteuse».
Un proche de Montebourg explique ainsi que «la proposition des 67 ans maximum pour se présenter qu'a faite Arnaud visait surtout à régler la situation du Pas-de-Calais». Lui ne goûte que moyennement les reproches qui lui sont à nouveau faits, par l'entourage d'Aubry: «Pour les Bouches-du-Rhône, on nous dit que c'est un scandale qu'on fournisse des preuves issues d'un dossier judiciaire. Et là, on nous intime d'en fournir!»
Affirmant avoir recoupé les informations qui s'étalent aujourd'hui dans la presse, la solution de la limite d'âge était «un moindre mal pour s'en sortir pas trop mal, face à un procès qui devrait se dérouler en mars et vu l'utilisation que risque d'en faire Marine Le Pen et SARKO...!. Ça permettait de virer les vieux caciques et de préparer la suite avec des jeunes, afin de donner moins de prise aux critiques plus que légitimes sur le PS local...».
Dans son communiqué, Martine Aubry dit aussi «rejoindre la demande que m'ont adressée Catherine Génisson, première secrétaire fédérale, et Serge Janquin, son prédécesseur», dont elle rappelle qu'ils ont par ailleurs déposé plainte en diffamation contre... les journaux ayant révélé l'enquête judiciaire! «Il est sous-entendu qu'il y avait des emplois fictifs à la fédération. Quand on connaît Catherine, c'est inimaginable», souffle l'attaché de presse d'Aubry. Génisson est une proche de la maire de Lille, mais tout le monde localement reconnaît qu'elle ne pèse pas grand-chose dans l'édifice pas-de-calaisien.
«C'était surtout un symbole de renouvellement et de féminisation, dit un conseiller général. Elle est chef-urgentiste, au moins ce n'est pas une professionnelle de la politique et elle n'est pas soupçonnable d'enrichissement personnel. Elle...»
Pour résumer la situation, et l'ambiance pesante qui règne en ce moment dans les couloirs de la fédération, un vieux cadre socialiste local repense à l'affaire Urba, qui avait secoué le PS au début des années 1990: «Le malaise est grandissant, on ne sait pas qui a trempé, qui va passer entre les gouttes. Et là, en plus, l'argent ne va pas au parti, mais dans les poches.»
Un système à bout de souffle...!
Pour autant, l'emprise du duo Kucheida/Percheron n'est plus aussi forte que dans les années 1990 ou durant le mandat de François Hollande à la tête du PS (1997-2008). A l'époque, soutenant le désormais candidat PS à la présidentielle, les barons du Pas-de-Calais jouissent d'une large autonomie. Les pratiques clientélistes vont bon train, tout comme le «socialisme municipal». La fédération dépasse les 15.000 cartes (soit 10% de l'effectif du PS tout entier), dont une partie est en dehors du fichier national d'adhérents (une infraction régularisée depuis 2009).
On vote comme un seul homme lors des congrès, où l'on pratique «l'urne volante», qui se déplace directement dans les maisons de retraite. Rares sont les employés de collectivités locales qui ne sont pas membres du parti, et la section de Liévin est alors la plus grosse de France, avec 1.400 cartes (lire notre reportage lors du congrès de Reims en 2008).
C'est grâce à Percheron et Kucheida que le sulfureux Jacques Mellick sera réintégré, après sa réélection à Béthune en 2002, lui permettant d'obtenir l'investiture socialiste aux législatives de 2007, puis aux municipales de 2008 (où il sera à chaque fois battu). Ce sont également eux qui encouragèrent la création d'une section parallèle à Hénin-Beaumont, dite "radicale-socialiste", pour permettre la réélection de Gérard Dalongeville en 2008, puis plaider dans la foulée auprès de Solférino son intégration au parti. «Là-bas, on devient socialiste une fois qu'on a été élu, et ça peut recommencer plusieurs fois», nous confiait un conseiller de Martine Aubry il y a deux ans.
«Comme le dit souvent Percheron: “le parti d'Epinay a ici peu à peu laissé place à la social-démocratie des territoires”», explique Antoine Détourné, ancien président du MJS et secrétaire fédéral à la fédération du Pas-de-Calais. Selon lui, «aujourd'hui, ça part dans tous les sens, et personne ne tient plus grand-chose. C'est un département où il n'y a pas de grande ville, que des moyennes. Et partout les figures socialistes pensent encore avoir le monopole électoral. Du coup, il y a des dissidences partout. Et Marine Le Pen se frotte les mains...»
La situation désespère Pierre Ferrari à Hénin-Beaumont: «La conséquence de l'inaction va être terrible: si la circonscription tombe, c'est une tache brune qui va s'étendre. Plusieurs communes voisines font déjà des gros scores FN, et si Marine Le Pen est élue députée, elle va mettre les moyens pour faire mieux qu'à Vitrolles ou Orange.» En mars 2010, Jean-Pierre Kucheida expliquait la montée du Front national sur «ses» terres, lors des élections régionales, par une simple formule: la faute à la presse...
Aujourd'hui, un socialiste béthunois se fait fataliste: «Le seul moyen de rénover ici, c'est que les leaders locaux meurent ou aillent en prison... On est passé de la Corée du Nord à un club d'élus qui cherchent à se piquer des postes.» «La parité, les accords avec les autres partis, le renouvellement... Rien n'est respecté, renchérit Ferrari. Mais le système arrive mécaniquement à bout de souffle. Tous les caciques ont plus de 70 ans...» Cet essoufflement de la fédération historique du socialisme ouvrier, rongée par le cliéntélisme et l'affairisme, la primaire du PS l'a récemment démontré.
Malgré un soutien actif pour François Hollande (un appui négocié en échange de vagues promesses sur la possibilité de cumuler les mandats), au grand dam d'aubrystes alors furieux, les grands barons du Pas-de-Calais n'ont convaincu que 43,6% des électeurs socialistes de suivre la consigne de vote. Ce jeudi dans Nord-Eclair, Jean-Pierre Kucheida, qui dénonce par ailleurs «du pur fantasme, du délire, des ragots de bas étage et de caniveau», donne son explication des malheurs qui s'abattent sur lui: «On veut m'abattre car je soutiens François Hollande.» Et ça ne fait que commencer…
c.boulanger1@libertysurf.fr